lundi 5 avril 2010
Le beurre et l'argent du beurre
Notre pays a été et est toujours dans de nombreux domaines un ilôt de cherté, un ilôt de cherté qui se traduisait tout de même au passage par un plein emploi que chacun nous enviait et des niveaux de salaires exceptionnellement élevés que les entreprises locales étaient amenées à payer à leurs salariés.
Nos politiciens se sont alors attachés avec quelques succès (pour l’instant essentiellement acquis sur les médicaments…) à attaquer ces prix élevés et les ministres se succèdent depuis avec cet unique et même leitmotiv à la bouche : effacer nos différences de prix avec les pays qui nous entourent. Même la sacro sainte Migros en arrive à se plaindre de la fierté avec laquelle certains de nos ministres se vantent aujourd’hui d’avoir réussi à faire entrer dans notre pays certains magasins à bas prix dans le domaine alimentaire.
Il n’y a sans doute pas de raison de se plaindre de tous ces efforts visant à réduire certaines aberrations tarifaires dont la Suisse est « victime » depuis la trentaine d’années durant lesquelles notre monnaie n’a cessé de s’apprécier au regard de celles des pays qui nous entourent. On oublie cependant de dire qu’en acceptant cette traque aux prix, nous devrons aussi accepter de vivre dans un pays qui n’aura plus les moyens de maintenir le niveau de « service » qu’il s’est offert et auquel il s’est habitué pendant toutes ces années.
En contraignant d’une manière ou d’une autre les entreprises à réduire le prix de vente de leurs marchandises ou services, on contraint en effet ces dernières à réduire leurs coûts; or le premier et sans doute l’un des rares postes sur lequel elles peuvent agir ou en l’occurrence réagir est celui des emplois qu’elles offraient (il est pour l’instant encore difficile de réduire les salaires nominaux… mais cela viendra aussi). Dans notre domaine de la pharmacie, nous vivons déjà les conséquences de ces suppressions de poste de travail avec des retards, des ruptures de stock et des erreurs de livraison qui s’accumulent; suivront ensuite la réduction des investissements et frais de fonctionnement qui profitaient essentiellement à des entreprises locales, la réduction des soutiens financiers aux sociétés sportives ou autres manifestations culturelles en tous genres que certains trouveront anecdotiques mais qui ne seront pas, socialement parlant, sans conséquence, et au final une réduction de bénéfices imposables qui revenaient à des grands argentiers qui se sentent tout soudain à leur tour dépossédés d’une manne bien confortable.
Et ces conséquences sont très rapides. Le nombre record de faillites enregistrées depuis quelque mois et l’augmentation du chômage ne sont pas seulement le fait de la crise économique mondiale. Elles sont aussi le fait de cette politique d’ouverture à sens unique de nos frontières qui profite surtout à quelques entreprises multinationales exportatrices, des entreprises certes importantes et indispensables à notre économie, et à de grandes chaines de distribution qui peuvent améliorer leurs marges grâce à des importations directes tout en affichant de temps en temps pour le public quelques prix d’appel alléchants.
De nombreux économistes doutent d’ailleurs plus ou moins ouvertement de l’impact de cette politique dite du « cassis de Dijon » sur nos prix. Ceci ne signifie pas qu’il ne fallait pas aller dans ce sens pour rectifier des abus manifestes. Mais de là à faire de cette recherche permanente du prix européen le plus bas une véritable quête du Graal, il y a un pas que nos autorités devraient éviter de franchir. Avant de le faire, ils seraient tout au moins bien inspirés d’expliquer à nos concitoyens que nos niveaux des prix élevés ne permettaient pas seulement à quelques importateurs de dégager des bénéfices extraordinaires. Ils permettaient aussi de maintenir dans notre pays un réseau de distribution et de services après-vente de très haut niveau qui participait aussi à la réputation du pays. Avec nos nouveaux prix euro-compatibles, il va aussi falloir nous habituer à vivre sans ces services ou, au mieux, avec des services délocalisés à l’étranger qui n’atteindront jamais le niveau auquel nous nous étions habitués. Il est décidément bien difficile de bénéficier à la fois du beurre et de l’argent du beurre.
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