Un pharmacien dans la feuille

Pour les non-neuchâtelois, être "dans la feuille" ne signifie pas grand-chose. La feuille, c'est la Feuille d'Avis de Neuchâtel, désormais prénommée l'Express, le plus ancien journal de langue française encore édité à ce jour. Mais être "dans la feuille" signifie surtout que vous ne la lirez plus jamais... puisque c'est dans la rubrique mortuaire que vous vous retrouvez.

A la fin de la semaine passée, Fred Tripet s'y est retrouvé et j'en suis sincèrement triste. Pas seulement parce que Christiane et moi lui devons notre carrière professionnelle au Landeron ou que j'appréciais cette forme de force tranquille qui émanait de lui. C'est surtout l'empêcheur de tourner en rond que j'appréciais, lui qui a tellement bien su "enquiquiner" ce microcosme pharmaceutique neuchâtelois pendant une bonne cinquantaine d'années. En vrac je vous livre un tout petit extrait de ses frasques qui ont fait monter la pression de quelques confrères : refus de s'imposer le respect de la "taxe baloise" pour calculer le prix de vente au détail de ses tisanes, ouverture matinale le sacro-saint jour de fermeture de ses honorés confrères, stock de médicaments à faire pâlir le premier grossiste venu, voiture pendue à la devanture de son officine chaque année avant Noël (le 1er prix de son concours annuel), stock de cannes mis à disposition des patients de l'hôpital local, etc... et au final une pirouette en guise de pied de nez à ses chers confrères avec la vente de son officine à la sulfureuse chaîne Victoria.

Un modèle de pharmacien, non certainement pas, même s'il mettait un point d'honneur à arriver le matin avant ses collaborateurs et à repartir après eux le soir, en Porsche d'accord... mais en attendant il était toujours et encore au travail quand ses détracteurs étaient rentrés chez eux, les pieds dans leurs pantoufles, depuis bien longtemps.

Mais c'est surtout l'agitateur permanent de la profession et sa perpétuelle indépendance d'esprit au regard du politiquement correct que je voulais saluer. A ce titre au moins, je trouve qu'il méritait bien un coup de chapeau dans l'Officine.